Analyse d’estampe: Vaste plan de Paris de 1617

Présentation

Chers lecteurs et lectrices, je vous propose d’aborder ici l’analyse d’une gravure aux dimensions aussi exceptionnelle que sa rareté. Il s’agit d’un plan de la ville de Paris de 1617 en quatre feuillets gravés à l’eau-forte et au burin par Pieter Van Den Keere (1571-1646) et François Van Hoey (1590 – 1636).

  • Auteurs: Pieter van den Keere (dit « Petrus Kaerius ») (1571 – 1646), François van Hoey (dit « Franciscus Hoyanus ») (1590 – 1636)
  • Date d’exécution: 1617
  • Techniques: Eau-forte et burin
  • Support: Épreuve sur papier vergé appliqué sur papier fort
  • Dimensions: L. 200 cm x h. 38 cm

Sommaire

Précédents plans de Paris

Le tout premier plan dont on connaît l’existence est le plan de la Gouache imprimé vers 1535 dont l’original a disparu dans l’incendie de l’Hôtel de Ville en 1871. Le plus ancien plan de la ville qui nous soit parvenu serait donc un plan intitulé « plan de la Tapisserie« , réalisé vers 1540 (auteur inconnu).

La production de plans de Paris gravés commence vers le milieu du XVIe siècle, ce qui fait du plan analysé ci-dessous l’une des plus anciennes vues du vieux Paris.
Les graveurs ayant pour coutume de se copier les uns les autres, le plan de 1617 est fortement inspiré du plan de Mérian edité deux ans plus tôt, en 1615 par son auteur.

Contexte historique

Aux Pays-Bas, le XVIIe siècle est considéré comme l’âge d’or Néerlandais. Amsterdam devient à cette époque la ville la plus riche du monde. Elle rayonne à travers toute l’Europe au niveau artistique avec des artistes comme Rembrandt. Grand lieu d’échange pour l’art et le commerce, Amsterdam est le modèle idéal de ville pour la production de vues spectaculaires de grandes villes européennes.

Le XVIIe siècle a connu une importante production de plans de villes, réalisée en quatre planches ou plus, dont une trentaine sont actuellement répertoriés. Notre plan est le plus grand et le plus spectaculaire plan de Paris réalisé à cette époque.

Analyse du plan de 1617

Les auteurs

Execution du plan par Petrus Kaerius et Franciscus Hoyanus l'an 1617

Pieter van den Keere (1571 – 1646) (Petrus Kaerius en latin), est l’élève du graveur Jodocus Hondius, il devient comme lui cartographe à Londres. Il édite en 1627 un « Atlas Minor », dont les 63 cartes couvrent tous les continents selon les connaissances de l’époque.

François Van Hoey (1590 – 1636) (Franciscus Hoyanus en latin) réédite le plan original, deux ans après, en 1619 avec comme seul changement apparent la mention de son nom « Franciscus Hoiamis » comme graveur.

Description du plan de Paris de 1617

Ce plan se présente sous la forme de quatre feuillets qui, assemblés, composent une carte de Paris de 2m de largeur sur 38cm de hauteur.

Outre la ville même, ce plan montre un champ élargi qui va du clos de Saint-Lazare au Nord (gauche du plan) jusqu’au delà du Jardin de la Reine Marguerite, vers les petites maisons de campagne aux alentours (au sud du plan). A l’est (haut), sous une perspective approximative, on aperçoit plusieurs villages et hameaux, notamment Vincennes et Saint-Antoine-des-Champs d’un côté et Bicêtre et Gentilly de l’autre.

La gauche du plan

Sur le premier feuillet tout à gauche, se tenant sur son cheval, le Roi Louis XIII relié aux armes de France et de Navarre tenues par deux anges. On trouve les inscriptions “Lodovicus . XIII . D . G” “Galliae et Navarrae REX” sur son piédestal. Au pied du roi, une échelle des classes sociales allant de gentilshommes et dames aux porteurs d’eau et de bois.

La droite du plan

Sur le dernier feuillet à droite, se trouve la Reine Anne d’Autriche à cheval entourée de soldats. Les armes de Paris, au milieu d’une couronne de lauriers, aussi portées par deux anges. Une inscription figure sous la reine “D. Anna d’Austria Regis Christianissimi Sponsa”.

Sur une face du piédestal, un poème écrit en latin par Jean d’Hauville (1150 – 1199?) a pour titre « Architremius Anglus de laude et Splendore urbis Parrhisiorum” (« Un angle sur le territoire et la splendeur de la ville de Paris »). Celui-ci fait les louanges de la ville de Paris.

Le centre du plan

Au centre on peut admirer toute la splendeur de la ville avec la Seine, ses ponts (encore habités à cette époque), ses monuments tels que Nôtre-Dame, le palais de la cité, la Bastille, ou le palais du Louvre dont le château fort est encore partiellement visible.

On peut aussi y observer des personnages se promènent dans les rues de la ville ou voguant sur des bateaux, des chiens, des carrosses, des chevaux…

Datation de la représentation

Les monuments présents permettent de dater la vue qui nous est présentée.

Nous pouvons voir quelques constructions récentes comme:

  • le Pont Neuf (1607)
  • la Place Dauphine (1611)
  • l’Hôpital Saint-Louis (1612).

Les édifices qui n’existent pas encore ajoutent de la précision à la datation:

  • La construction du Pont Marie entre la rive droite et l’île Saint-Louis (alors nommée l’île Nôtre-Dame) ne se fera qu’à partir de 1614.
  • Egalement, les travaux de l’église Saint-Joseph-des-Carmes ne débuteront qu’en 1613 non loin de l’hôtel de Luxembourg, là où se trouve un terrain en friche.

En conclusion, la vue de Paris qui nous est présentée daterait de 1612-1613.

Quelques Curiosités

Gibet de Saint-Germain-des-Prés

Le gibet de Montfaucon existe encore en 1617. Caché derrière le cheval de Louis XIII, il n’est pas visible sur le plan. Cependant un petit gibet (appartenant à l’Abbaye de Saint-Germain-des-Prés) dans le Pré aux Clercs sur la rive gauche figure sur la carte.

Les ponts Marie et de la Tournelle

Les deux ponts étant construits ultérieurement mais les projets étant probablement prêts, on trouve des marquages de ceux-ci sur la Seine. Ces marquages figurent sous forme de pointillets dans le plan de Mérian.

La ferme de la Grange-Batelière

Dans le coin inférieur gauche du feuillet n°1 se trouve une ruine: la ferme de la Grange-Batelière était une ferme fortifiée construite en 1243. Le fief de la Grange-Batelière s’étendait sur 58 hectares, des Champs-Élysées au chemin de Montmartre (actuelles rues Montmartre et du Faubourg-Montmartre). Elle était située à l’emplacement actuel du 9 rue Drouot, au même endroit que le célèbre hôtel de ventes aux enchères.

Retouches, Manques et Erreurs

Retouches

  • De part la mauvaise disposition d’un feuillet, des retouches ont été effectuées pour faire correspondre les transitions. La rose des vents a été assez mal retouchée.
  • Comme beaucoup d’estampes, elle fut découpée puis recollée sur un support papier.
  • Le deuxième feuillet en partant de la gauche monté trop haut créant un décallage bien visible notament sur l’enceinte de Charles V et les Tuileries.

Manques

On remarque des découpes légères sur le bas et les bords droit et gauche: il manque le « R. » à “Sponsa R.” dans l’inscription sous la Reine Anne d’Autriche. Idem, le bas de la jambe droite du porteur de bois est manquante.

Erreurs de cartographie

Toute une rangée de rues du Marais est décalée.
Il s’agit de :

  • la rue au Maire qui est prise pour la rue des Gravilliers
  • la rue des Gravilliers qui est prise pour la rue Chapon
  • la rue Chapon qui est prise pour la rue de Montmorency
  • la rue de Montmorency qui est prise pour la rue Grenier-Saint-Ladre
  • la rue Grenier-Saint-Ladre qui n’est pas nommée sur le plan.

Le village Saint-Antoine est dénommé « S. Antoinene des champ ».

Autre état de l’estampe

Il existe un autre état de cette estampe. Dans celle-ci on retrouve le roi plus vieux et sans la mention de son nom sur le piédestal.
Les personnages au premier plan voient leurs viages redessinés.

Combien d’épreuves sont connues ?

Sept plans complets sont connus dont quatre sont des tirages originaux de 1617.
Ceux-ci sont répartis entre:

Les archives de la ville de Munich sont eux les propriétaires d’une carte presque complète (1617) (3ème feuillet manquant).
La BNF possède également un fragment.

À la vue de cet exemplaire, on pourrait penser qu’il est complet, avec son texte d’origine. Cependant, il a été rédigé un an après, en 1618 et par le graveur Visscher, auteur d’un plan de Paris datant de la même année.

Les archives de la ville de Munich possèdent ce plan dont seulement trois feuillets ont été conservés. L’épreuve est en très mauvais état: le papier est déchiré dans les marges, on trouve aussi beaucoup de mentions manuscrites à l’encre brune. Un texte qui ressemble à l’exemplaire suédois figure au bas du plan. Ce texte de « François de la Hoeye » date de 1617. Il pourrait s’agir là du seul texte original connu.

L’épreuve de la librairie LeBail, coloriée à l’aquarelle, est unique. Bien qu’ayant mal été conservé, elle possède un ornement aux motifs végétaux et animaliers tout autour de la carte. Cet ornement et ces couleurs ont été réalisés à la même époque que la carte.

Bibliographie

Œuvres Connexes

Il existe à ma connaissance cinq créations issues de ce plan:

Conclusion

Malgré sa grande dimension, quelques exemplaires de cette vue de Paris ont pu être sauvés du temps. Ce plan en vue cavalière reste le plus grand plan de Paris du XVIIe siècle et un magnifique témoignage de la vie à cette époque.

Sa rareté, son important format, son détail, en font une pièce d’exception.

Contact

Pour toute requête, me contacter par e-mail: Thomas JARROSSAY <articleparis1617.u1vdu@passmail.net>

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